Le premier décembre 2016 se tenait à Sciences Po Grenoble une conférence organisée par le Bureau d’information du Parlement européen à Marseille, en partenariat avec l’UPEG, les Jeunes Européens Isère, le centre d’information Europe direct Grenoble et l’association Alp’Europe. Sylvie Guillaume (Eurodéputée), Olivier Dandoy (Membre de la Commission Européenne) et Sabine Saurugger (Enseignante-Chercheur) ont échangé sur le thème du lobbying et de la transparence en Europe. A la marge de cet évènement, Sylvie Guillaume a accepté de répondre à nos quelques questions.
Q. Le 24 novembre dernier, Martin Schulz a annoncé qu’il ne se représenterait pas à la présidence du Parlement Européen, quel bilan faites-vous de ses deux mandats ?
Sylvie Guillaume. Grâce à Martin Schulz, le Parlement est devenu une des institutions européennes les plus importantes. Le Parlement a longtemps été considéré comme “la troisième roue du carrosse”, car nous n’étions pas encore véritablement le pouvoir décisionnaire jusqu’à ce que la codécision soit mise en place en 2009. Il a su profiter de ce moment-là pour renforcer la fierté du Parlement européen et pour le hausser au bon niveau de décision institutionnelle. Nous devons vraiment lui en être reconnaissants en tant que parlementaires, indépendamment de l’adhésion politique. Il a su parfois mettre le poing sur la table et il a su s’imposer, c’est ce qui a permis le renforcement du pouvoir du Parlement. Je trouve que de ce point de vue-là il a fait beaucoup de bien à la démocratie et à la citoyenneté.
Q. Le groupe S&D soutient l’Italien Gianni Pittela pour la succession de Martin Schulz, que pensez-vous du principe d’alternance qui est habituellement appliqué ?
Sylvie Guillaume. Il n’est globalement pas acceptable que les trois chefs de l’exécutif soient de la même formation politique : s’il y a effectivement alternance et que c’est quelqu’un du PPE qui prend la tête du Parlement, il y aura le Conseil, la Commission et le Parlement européen qui seront sous la domination du PPE. Au Parlement, il y a des équilibres politiques à prendre en compte et le groupe des Socialistes et Démocrates, dont je fais partie, est le deuxième groupe politique du Parlement, nous pouvons donc légitimement envisager que cette force démocratique soit représentée. Cette discussion autour des trois présidents de l’exécutif du PPE pose vraiment question.
Q. Nous avions une question par rapport au budget qui vient d’être adopté et qui laisse une grande place aux jeunes, avec une part importante dédiée à la croissance et aux emplois. Un tel budget avec de tels axes est-il le résultat de la conjoncture actuelle, un budget qui s’adapte au temps de crise, ou dérive-t-il de l’idée qu’il faut vraiment miser sur les jeunes pour porter l’Europe ?
Sylvie Guillaume. C’est un peu des deux, parce qu’un budget c’est d’abord un combat, c’est un moment tout à fait particulier et important dans la vie d’une assemblée. D’autant que là, la discussion était conjointe entre le débat sur le budget de cette année et le cadre financier pluriannuel. Le cadre financier pluriannuel fixe les cadres pour les sept ans qui viennent, et il est compliqué de faire entrer les éléments de conjoncture dans ce cadre-là, parce qu’il est fixe. Il y avait deux co-rapporteurs pour le budget, une S&D et un PPE, et ils avaient réussi à se mettre d’accord là-dessus, en disant : il faut vraiment qu’on puisse desserrer l’étau du cadre financier pluriannuel et qu’on arrive à avoir de l’argent frais dans le budget européen. C’est donc ce qu’on voulait, et ce qu’on a obtenu. C’était une bagarre, parce qu’on se rend bien compte que si on n’agit pas maintenant et de façon continue et ferme sur la question de l’emploi et de la formation des jeunes, les effets retard seront totalement délétères. Donc oui, c’est une volonté politique forte dans le budget, de faire en sorte qu’il y ait un soutien crédible à la formation et à l’emploi au travers de la garantie jeunesse, et au travers de la mobilité, avec un budget pour Erasmus+ renforcé. Avec Isabelle Thomas- la co-rapporteure issue de la même formation politique que moi, – nous étions extrêmement déterminées là-dessus. Nous étions également d’accord sur le fait qu’il fallait de l’argent frais pour prendre en charge les grandes politiques du moment. L’argent frais s’est également retrouvé sur le traitement de la crise migratoire. Il y a donc plusieurs enjeux : l’investissement, la jeunesse à travers la garantie jeunesse et la mobilité et la question de la migration, des réfugiés.
Q. Pour revenir sur ce dernier point -la question des réfugiés et de la migration- on a vu que la Commission a mis en place un système de quotas obligatoires et que tous les pays ne veulent pas la mettre en œuvre, est-ce que vous voyez des alternatives à ce système obligatoire ? Certains proposent par exemple des quotas flexibles…
Sylvie Guillaume. C’est curieux que vous utilisiez le terme « quotas ». Un certain nombre d’Etats-membres se sont jetés sur ce terme en disant qu’il y avait « quotas ». Mais si vous avez l’occasion de lire la déclaration de la Commission, vous ne verrez jamais le mot « quotas » apparaître. Ce qui est utilisé en revanche, c’est la question de la répartition. Cela part d’un principe de la Commission – que je partage – de dire : à un moment donné, la question de ces six millions de syriens, qui sont partis de chez eux, tapent à la porte pour trouver un refuge en Europe et tapent à certaines portes et pas d’autres : la géographie est ce qu’elle est. La Commission a utilisé un concept qui était premièrement un concept de solidarité, et deuxièmement, de répartition. Le problème est que la Commission n’a jamais réussi à les faire appliquer. Au Parlement européen, nous avons beaucoup soutenu cela, même si on n’a jamais réussi à se mettre d’accord pour rendre la répartition obligatoire. Ensuite, à partir du moment où le groupe de Višegrad s’est regroupé et a proposé cette répartition flexible, d’autres Etats membres se sont sentis délivrés d’un certain nombre de promesses. Voilà pour la description des choses. Est-ce qu’il y a une alternative ? Je ne pense pas. Les Etats membres sont devant une obligation de responsabilité, de partage de la responsabilité. Il ne peut pas en être autrement. Actuellement, on fait jouer aux pays extérieurs à l’Union européenne le rôle de gardiens pour nos frontières. On confie aux Turcs, aux Balkans, aux pays africains, au Maghreb le rôle de gardiens de l’Union. On ne peut pas continuer comme ça et je pense que l’Union doit prendre ses responsabilités. Je pense que la proposition de la Commission qui était de se répartir intelligemment, en discutant, les réfugiés Syriens, était une bonne solution. Je n’en vois pas d’autres.
Propos recueillis par Eva Gerland, Isaure Magnien et Tom Sommer en Master Gouvernance européenne et membres d’Alp’Europe