Interview avec Thibaud Kurtz, Consultant sur les questions africaines

Le vendredi 24 novembre 2017, l’association Alp’Europe a organisé une conférence « Les carrières européennes » à Sciences Po Grenoble. L’équipe est ravie de vous faire partager aujourd’hui l’interview de M. Thibaud Kurtz, consultant en bonne gouvernance et démocratie africaine et qui est intervenu durant la conférence pour faire partager son expérience avec les étudiants.

Q. Tout dabord, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier ?

Thibaud Kurtz : Je suis consultant en gouvernance démocratique et aussi analyste en géopolitique africaine. J’ai eu une expérience relativement vaste dans l’aide au développement et dans la gestion de projets aussi, et puis aussi un petit peu sur la gestion de sortie de crise. J’ai voulu, depuis deux ans, me spécialiser sur les questions de géopolitique en terme d’analyse et en terme de consultance sur les questions démocratiques. Je travaille dans l’accompagnement des processus électoraux en lien généralement avec la question de conflit électoraux : je viens d’ailleurs d’effectuer un travail sur la prévention des violences électorales en Afrique australe. C’est l’autre part de mon travail, j’ai une spécialité géographique sur les questions africaines.

Le consulting est un terme un peu à la mode et qui est un peu passe-partout. Cela implique surtout de « se vendre ». C’est beaucoup de temps passé à expliquer que l’on existe auprès de différents acteurs, répondre à des appels d’offres où parfois l’on n’a peut-être aucune chance, mais cela nous permet de montrer que l’on existe. Faire toute une série d’actions comme participer à des conférences, rencontrer des gens, relancer des contacts, passer beaucoup de temps à discuter et à écouter les gens et surtout essayer de les convaincre qu’ils ont besoin de vous, parce que, parfois ils ne le savent pas encore, ils vont peut-être avoir besoin de votre travail de consultant. Cela a un tarif donc il faut savoir le justifier.

Q. Pouvez-vous expliquer le lien entre votre travail et lEurope ?

Thibaud Kurtz : Premièrement, j’ai travaillé à Bruxelles, il y a plus de 10 ans maintenant. Je suis allé vers l’Europe pour aller vers le monde. Ensuite, je suis parti en Afrique Australe, j’ai travaillé pour l’Ambassade de France, l’Union Européenne puis à la mission britannique sur place au Botswana, qui est le siège de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe, l’équivalent, dans une certaine mesure, de l’Union Européenne pour l’Afrique Australe. Le lien fait que j’ai toujours travaillé dans un cadre diplomatique européen et parfois directement pour l’UE. Depuis que je suis consultant, une bonne partie des contrats que j’obtiens viennent et sont financés par l’aide de développement de l’UE.

Je vous parlais tout à l’heure de la prévention des violences électorales, c’est un projet qui a été financé par l’UE pour l’Afrique australe. C’est un secteur qui est en train de se développer au niveau européen et qui se structure, c’est-à-dire qu’au-delà des questions de développement plus traditionnelles, il y a maintenant tout une prise en compte de l’aspect démocratique, de l’aspect infrastructure et structure démocratique des institutions, car celles-ci doivent être redevable vis-à-vis de leurs citoyens : plus  elles le sont, meilleur est la stabilité, meilleur est le développement social, humain et économique.

Depuis plusieurs années, l’Union européenne se positionne comme l’un des acteurs clés dans ce secteur. Il existe plus de 200 projets depuis 2000 qui ont été financés dans l’accompagnement de processus électoraux, et de plus en plus maintenant avec un aspect de gestion de conflits et prévention des violences électorales. Ce sont plusieurs millions d’euros chaque année qui sont alloués par l’UE dans ce secteur, à la fois sur le budget communautaire et à la fois sur le budget du Fonds Européen au Développement :  c’est un fonds qui est approvisionné par les états membres, mais qui est géré par la Commission Européenne.

Q. Quels conseils donneriez-vous un étudiant qui veut se lancer dans la diplomatie et les relations internationales ?

Thibaud Kurtz : Il faut surtout être ambitieux, ne pas avoir peur et ne pas se dire que l’on n’est pas à sa place. Il faut essayer de bien comprendre le domaine dans lequel on intervient, et savoir ce qui nous plaît.

La diplomatie regroupe énormément de choses, donc si l’on préfère travailler à Bruxelles pour représenter un État membre ou si l’on préfère représenter l’UE à l’étranger, ce n’est pas le même métier. Si l’on veut être dans l’action, plutôt que dans l’analyse ou le lobbying politique, ce sont encore deux aspects différents. Je pense que la clé, c’est d’essayer de savoir ce qui nous plaît et ce qui vous convient en terme de personnalité, et d’avoir une vision aussi à la fois à court, moyen et long terme.

Ce qui a marché pour moi, ça a été de me dire que, d’abord, je savais pas ce qu’était une ONG, je ne savais pas ce qu’était l’UE, je ne savais pas ce qu’était un État membre. J’ai donc essayé de multiplier les expériences par des stages, des volontariats internationaux puis par des emplois, pour essayer de voir ce qui me convenait le mieux en tant qu’individu, et en tant que professionnel.

Plusieurs années plus tard, je me suis rendu compte que c’était plutôt l’aspect consulting qui me convenait. Il faut aussi faire un lien avec un phénomène global d’externalisation qui est mis en œuvre dans beaucoup d’institutions publiques. Cela consiste à externaliser beaucoup d’actions et de limiter les coûts notamment en termes d’emploi. Il y a de moins en moins de postes de diplomates : l’on a souvent recours au volontariat international, aux recrutés locaux, aux experts en consultance. Ce sont aussi des choses à prendre en compte lorsque l’on travaille dans ce domaine.

Autres points : il faut toujours être dans l’apprentissage, c’est toujours très important. Trouver le bon équilibre : montrer que l’on a toujours quelque chose à apporter, mais que l’on est là aussi pour apprendre. Il faut toujours apprendre.  Aujourd’hui, on a des outils fantastiques avec les cours en ligne, les MOOC etc. Mais  l’apprentissage, ce sont aussi les relations humaines : je fais beaucoup de mentorat et j’ai quelques personnes avec lesquels je discute régulièrement qui ne font pas ce que je fais. Je leur demande donc « Comment vous faites pour prendre une décision ? Comment vous faites lorsquil sagit de gérer un problème, de gérer un imprévu ? ». Gérer à la fois dans leur travail mais aussi dans leur rapport au travail en terme de carrière. Quand je pense aussi avoir acquis une certaine compétence ou une connaissance je n’hésite pas à les retransmettre à d’autres personnes :  on le fait souvent entre amis, mais si c’est plus cadré, cela peut être utile.  Par exemple, s’il s’agit de travailler au niveau de l’UE, ou de trouver quelqu’un qui travaille dans cette structure, il ne faut pas hésiter à le rencontrer via internet, des conférences, des discussions via Skype ou WhatsApp. Généralement, c’est le meilleur moyen pour se rendre compte de la diversité des parcours, des obstacles, et de se rendre compte de ce que l’on a déjà acquis, de ce qui est déjà maîtrisé, et là où l’on a encore besoin d’apprendre.

            D’autres points :  analyse du marché (terme très privé, très business) ; connaître sa valeur ajoutée par rapport à ses collègues, aux collègues potentiels et par rapport à ceux qui vont arriver (les étudiants de Sciences Po aujourd’hui ne sont pas formés de la même manière que moi, et je n’ai pas été formé de la même manière que les étudiants qui était là avant moi). Ne pas hésiter, lorsqu’il y a un nouveau besoin, à maîtriser de nouveaux outils. Ne pas hésiter à chercher et demander aussi. Prendre le temps de connaître, savoir ce que l’on veut, savoir si l’on est plutôt introverti ou extraverti.  Si l’on est introverti et que l’on se retrouve à faire de la communication ou du lobbying, cela peut vite devenir difficile.  Si l’on déteste être enfermé dans un bureau, il vaut peut-être mieux travailler dans l’humanitaire, plutôt de terrain que de bureau. Cela implique de passer du temps, comme vous le faites dans cette association, d’organiser des événements dans lesquels différents profils de personnes interviennent pour expliquer ce qu’ils font.

Q. Pouvez-vous nous citer les avantages et difficultés de votre métier ?

Les avantages ? Une certaine flexibilité, cela me permet d’avoir un équilibre entre ma vie privée et ma vie professionnelle. Je travaille beaucoup sur l’ordinateur ou en voyageant, et cela me permet de vivre à Lyon avec mon épouse. C’est un point très important. C’est un métier passionnant si l’on aime voyager, mais il ne faut pas que le voyage devienne une prison.

C’est relativement bien payé, mais quand c’est payé : c’est aussi un des points négatifs. C’est un désavantage par rapport un salaire régulier : il peut y avoir des périodes où l’on ne vas pas très bien gagner sa vie, il faut le savoir. Quand on se lance, il vaut mieux avoir une petite capacité personnelle d’investissement pour anticiper ces périodes. Mais si cela ne se passe pas trop mal, l’on arrivera à gagner assez pour travailler trois, six ou neuf mois dans l’année en fonction. Par compte, quand on travaille, on travaille énormément. C’est l’autre point négatif : s’il faut rendre un document pour le lendemain, et qu’on vous la demander à 16 heures, il faut le faire, on n’a pas le choix.

 

Propos recueillis par Célia Niessen

 

Publicité

INTERVIEW AVEC SAMIA LACOSTE, CONSULTANTE EN GESTION DE PROJETS POUR LE SYNDICAT DE L’OUEST LYONNAIS

Le vendredi 24 novembre 2017, l’association Alp’Europe a organisé une conférence « Les carrières européennes » à Sciences Po Grenoble. L’équipe est ravie de vous faire partager aujourd’hui l’interview de Mme Samia Lacoste, consultante en gestion de projets et qui est intervenue durant la conférence pour faire partager son expérience avec les étudiants.

Q. En quoi consiste votre métier ? Quelles sont les tâches principales que vous avez à accomplir ?

Samia Lacoste : Mes tâches principales sont la mise en place de procédures pour le programme LEADER, c’est-à-dire l’animation et la gestion des projets sur le territoires Ouest Lyonnais. Je suis chargée de les instruire et les suivre jusqu’à leur finalité, afin de m’assurer de leur réalisation effective et financière.

En effet, 31 territoires ont répondu à un appel à projets européen et ont été sélectionnés pour recevoir des fonds européens LEADER. C’est le cas du syndicat de l’Ouest Lyonnais, qui représente quatre intercommunalités, soit 42 communes, et qui a réalisé une demande de fonds afin de mettre en place des projets de développement du territoire.  

Q. Quels conseils donneriez-vous à un étudiant qui souhaiterait travailler comme vous dans la gestion de projets européens ? Quelles sont les compétences phares ?

Samia Lacoste: Selon moi, le plus important et d’avoir un esprit ouvert, et de posséder une capacité de transversalité : dans mon métier, nous devons être capables de gérer sur l’animation de projet, tout en restant conscients de la réglementation nationale et européenne, qui sont complexes à appréhender et à maîtriser. Il faut donc savoir être « animateur » tout en restant rigoureux et procédurier, cela demande donc une forte polyvalence.

Q. Quel est votre parcours au niveau académique ? Comment vous êtes-vous dirigée dans la gestion de projet ?

Samia Lacoste: J’ai un parcours assez atypique ! Je possède un master en audit et contrôle de gestion, et j’ai débuté ma carrière comme contrôleur dans un cabinet d’audit. Pour diverses raisons, j’ai choisi de me réorienter et j’ai fait la découverte de la gestion de projet un peu par hasard. Ce qui m’a attiré, c’est la variété de ce métier. Nous traitons aussi bien d’inclusion sociale, que de développement territorial, de compétitivité, d’aide aux personnes mais également d’aide aux entreprises. C’est un métier très varié, qui permet toutefois de conserver une certaine rigueur.

Q. Quels sont selon vous les avantages et les inconvénients majeurs de votre métier?

Samia Lacoste: Pour moi, l’avantage majeur reste la polyvalence et la diversité des thématiques. Cela permet d’utiliser plusieurs compétences, des ressources humaines à l’ingénierie financière, à l’innovation sociale. Il faut donc être adaptable et dynamique, notamment face aux importantes variations politiques, qui nous influencent directement. Cela demande de toujours rester en veille, de rester vigilant par rapport à ce qui se met en place. Les difficultés sont justement liées à ça, car nous sommes souvent bloqués et arrêtés par des aspects politiques. Une autre difficulté est que les procédures peuvent être très chronophages et technocratiques.

Propos recueillis par Mathilde Berjat

Interview avec Marie-Claude BLIN, Ancienne fonctionnaire de la Commission européenne

Le vendredi 24 novembre 2017, l’association Alp’Europe a organisé une conférence « Les carrières européennes » à Sciences Po Grenoble. L’équipe est ravie de vous faire partager aujourd’hui l’interview de Mme Marie-Claude Blin, ancienne fonctionnaire de la Commission européenne et qui est intervenue durant la conférence pour faire partager son expérience avec les étudiants.

Q.En quoi consistait votre métier à la Commission européenne ?

Marie-Claude Blin: Ce qui est intéressant tout d’abord dans les métiers de l’Europe, c’est que c’est un travail avec de multiples facettes, et il est possible de faire des métiers très différents sous ce vocable d’ « eurocrate ». Je suis récemment retraitée, et pour ma part, mon métier a eu différentes étapes.

J’ai passé un concours d’administrateur postuniversitaire, et j’ai tout d’abord travaillé dans le domaine du droit douanier – je suis juriste -, qui est un domaine tout à fait intégré avec une politique commune depuis les années 1960, c’est un secteur très européanisé. Ensuite, j’ai travaillé dans le domaine de la TVA, de la fiscalité, un domaine beaucoup moins coordonné. Pour terminer, je me suis intéressée au droit de l’environnement. C’était un droit en gestation à l’époque. Lorsque j’ai quitté la fonction publique européenne par retraite, j’étais chef de service adjoint à la DG environnement, et je coordonnais notamment l’ensemble des procédures de précontentieux et de contentieux à l’égard des 28 Etats-membres dans le domaine des manquements au droit de l’environnement. Cela signifiait négocier avec les Etats-membres, porter un projet au niveau interne, le défendre au niveau des différents services de la Commission européenne dans les directions générales, et puis quand on en arrive à la procédure d’infraction, aller à l’encontre des Etats-membres, les amener à reprendre le droit chemin – et si ce n’est pas le cas les conduire devant la Cour de Justice à Luxembourg.

Q.Quels conseils donneriez-vous à une étudiant souhaitant travailler à la Commission européenne ?

Marie-Claude Blin : C’est quelque chose qui est plutôt antinomique, mais être à la fois motivé, volontaire et humble. Notre approche hexagonale des choses nous amène à penser que nous « savons », et ce n’est pas un propos générationnel. En l’occurrence, s’il y a vraiment un atout, c’est d’être curieux d’esprit, tolérant, et de rester constructif. Car très souvent, le dossier sur lequel on travaille ne passe pas par la porte, mais devra passer par la fenêtre ou par la cheminée…et il faut continuer à être persuasif.

Le second élément, qui est peut-être moins de portée actuellement qu’il ne l’était pour ma génération, c’est d’être très à l’aise en langues. Cela reste encore une contrainte que souvent les étudiants, les jeunes français, maitrisent mal dans ce type de fonction ou de perspective.

Q. Combien de langues pensez-vous qu’il faille maîtriser ?

Le concours, le recrutement, se fait sur trois langues. Je pense qu’il vaut mieux jouer la « voie royale » que les autres formules temporaires pour travailler dans les institutions. A mon sens, si on a le corps chevillé à cette fonction publique européenne, il vaut mieux y aller par le biais du concours.

Q. Quels sont les avantages et les difficultés de votre métier ?

Marie-Claude Blin : Les avantages, par définition, pour moi tel que je l’ai vécu, c’est ce monde international, qui est une façon se de remettre en question, de remettre le « travail » sur le « métier », de trouver une voie de sortie sur un texte législatif, sur une bonne application du droit telle que les Etats l’ont prévue.

J’ai ressenti des contraintes particulièrement dans la dernière étape de ma carrière dans le droit de l’environnement. D’une façon générale les citoyens veulent plus d’environnement, c’est un des domaines où ils estiment que l’Europe peut mieux faire. Les hommes et femmes politiques poussent donc sur ce volet, mais on a bien vu les difficultés des différentes COP. Au niveau de la mise en œuvre, on se rend compte de deux paramètres : c’est une politique très coûteuse, et à long terme. Cela signifie pour les hommes et femmes politiques qu’ils doivent tout faire pour que cette politique soit appliquée maintenant, mais que les bénéfices en reviendront dans vingt ans peut-être pour le plus grand bonheur d’un de leurs opposants politiques. Dans la mesure où l’homme politique – et c’est un propos tout à fait de science politique de base – fonctionne au niveau de son élection prochaine, il y a un déphasage temporel qui existe.

Pour en revenir aux avantages de mon métier, je dirais que c’est de travailler avec des cultures différentes, des langues différentes, mais aussi des origines universitaires différentes. Par exemple, travailler avec un ingénieur atomiste, pour un juriste on ne parle pas la même langue, même si l’on est français tous les deux…c’est remarquable !

Enfin, une des difficultés du métier est de savoir « mettre son poing dans sa poche » quand on voit qu’un texte ne passera pas au Parlement européen ou au Conseil parce que d’autres impératifs sont apparus. Il faut alors reprendre son dossier, motiver ses troupes et dire à son équipe qu’elle fait un travail formidable et que cette construction juridique est magnifique, mais qu’elle n’est pas vendable politiquement.

Propos recueillis par Eva Gerland