Vers une “banalisation” de l’extrême-droite en Europe?

Après l’arrivée au gouvernement de l’extrême droite en Autriche, l’Union Européenne reste silencieuse.

A la suite des élections législatives tenues en octobre 2017 en Autriche, le nouveau chancelier conservateur Sebastian Kurz a choisi de fonder une coalition avec le parti d’extrême droite « le Parti de la liberté d’Autriche » (FPÖ). Trois de ses membres se sont ainsi vus confier la direction de ministères régaliens : l’Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères. Ce n’est cependant pas la première fois que ce parti, fondé en 1956, se retrouve au gouvernement. En 1983 et 1999 déjà, le FPÖ a partagé le pouvoir avec le parti conservateur. Pour certains spécialistes, ce gouvernement de coalition sera plus modéré que ceux présents en Hongrie et en Pologne et semblable à ceux du Danemark et des Pays-Bas.

Certains s’étonnent du silence de l’Union Européenne, alors qu’en 2000 les États membres avaient suspendu leurs relations bilatérales avec l’Autriche pendant sept mois en réaction à cette alliance avec l’extrême-droite. Le changement de ton s’inscrit, semble-t-il, dans un nouveau contexte politique. Face à la montée des populismes radicaux, les partis d’extrême droite européens sont de plus en plus présents dans des coalitions politiques et sortent ainsi de leur rôle traditionnel d’opposition. Des pays d’Europe de l’Est (Slovaquie, Pologne, République Tchèque, Hongrie), s’affirment comme des leaders d’opposition face à la politique d’accueil des réfugiés voulue par Angela Merkel. Pour le politologue Rheinhard Heinisch, ces Etats souffrent de conflits ethniques et sociaux-culturels non résolus. L’opposition de gauche est également très faible car elle est le symbole de l’acceptation et de l’application des critères d’austérité nécessaires à l’adhésion à l’Union européenne.

Aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, les dirigeants nationalistes ont rejoint les bancs des différentes institutions politiques. Néanmoins, l’entrée de l’extrême droite dans le gouvernement autrichien marque un tournant. D’autant plus que Sebastian Kurz avait la possibilité de former une “grande” coalition avec le parti social-démocrate, optant délibérément pour la voie extrême. Depuis son élection, il est vivement critiqué par une partie de l’opinion publique autrichienne et sur la scène européenne pour avoir participé au succès du FPÖ en mettant l’accent sur les questions migratoires et identitaires. La situation en Autriche reste singulière vis-à-vis des autres gouvernements de coalition comprenant des membres de parti d’extrême-droite, puisque le pays jouit d’un dynamisme économique et social qui n’a connu que très peu d’interruption.

Si le FPÖ ne semble plus remettre en question la présence de l’Autriche dans l’UE, le parti sera très probablement actif sur les questions d’immigration. Selon l’agence Bloomberg, un sommet sur cet enjeu est dores et déjà prévu lors de la présidence de l’Autriche au Conseil européen. Le succès autrichien semble également profiter aux autres mouvements d’extrême-droite européen puisqu’une réunion a eu lieu à Prague entre leurs dirigeants, dont la française Marine Le Pen et le néerlandais Geert Wilders.

Cette fois-ci, l’Union Européenne a salué le fait que le nouveau chancelier n’envisage pas de référendum sur la sortie de l’UE et que sa première visite officielle à l’étranger soit réservée au président de la Commission européenne. Sebastian Kurz gardera également la main sur les dossiers européens, ce qui rassure Bruxelles car l’Autriche aura la présidence tournante du Conseil européen au second trimestre de 2018. « Je fais confiance au gouvernement autrichien pour continuer à jouer un rôle constructif et pro-européen dans l’Union européenne. » a déclaré Donald Tusk, président du Conseil européen.

Autre symbole d’un changement, la réaction des Autrichiens a également été bien moindre qu’en 2000. Le 18 décembre 2017, seules 5 500 personnes sont allées manifester leur opposition à l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir contre 250 000 en 2000, sur un peu plus de 8 millions d’Autrichiens. La banalisation de l’extrême-droite, dans les sociétés nationales comme sur la scène européenne, semble ainsi s’imposer ces dernières années. Pour Anaïs Voy-Gillis, membre de l’Observatoire européen des extrêmes et doctorante à l’Institut français de géopolitique, cette « banalisation » appelle l’Union Européenne à « se remettre en cause » face à cette « manifestation de défiance généralisée » des citoyens, notamment envers l’Europe.

Au niveau européen, ce phénomène est d’autant plus préoccupant que la plupart des partis nationalistes sont aussi de fervents europhobes. Gageons que les prochaines élections européennes en 2019 nous montrerons si cette tendance explose ou est vouée à l’échec. Et si, cette fois, l’Union Européenne sortira enfin de son silence.

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